18
Mars 2025

Lectures inspirantes :
Un auteur, Jean-Claude Izzo, et une ville, Marseille.

Si je me suis mis à l’écriture de polars, c’est notamment parce que certains auteurs m’ont donné l’envie d’en écrire. Les grands classiques bien évidemment (Simenon, Conan Doyle, Leblanc, Christie…), mais surtout ceux lus dans les années 1990/2000. Je pense bien entendu à Fred Vargas, que tout le monde connaît, mais aussi à Jean-Claude Izzo, décédé en 2000, à l’âge de 54 ans et peut-être moins lu aujourd’hui. Il a produit une œuvre diverse, des romans, des recueils de nouvelles et de la poésie. Mais c’est pour les romans policiers qui mettent en scène sa ville de Marseille qu’il est le plus connu, notamment avec la fameuse trilogie - c’est par ça que je le connais - Total Kheops (1995), Chourmo (1996) et Solea (1999), bâtie autour du personnage principal, Fabio Montale, flic de retour à Marseille après la mort d'un ami. Face à la violence, la criminalité et  la corruption,  qu'il dénonce, Izzo explore des thèmes comme l'amitié et la loyauté. Les références musicales sont nombreuses (jazz, blues, notamment) et accompagnent l’évolution du héros. Plus qu’une simple toile de fond, la ville de Marseille est présente presque à l’égal d’un personnage. Izzo multiplie les références à la culture méditerranéenne, par exemple à travers la cuisine, pour créer un effet d’immersion. Il essaye de capter l’identité de la ville, un peu comme Robert Guédiguian le fait au cinéma. L’occasion de rappeler que des adaptations ont été proposées au cinéma (Total Khéops avec Richard Bohringer dans le rôle de Fabio Montale) et à la télévision (avec Alain Delon dans le rôle principal). Les romans se trouvent dans la collection Folio.

Bonne lecture, Didier PARIS

14 juin
2025

 L’Ivresse des mots
Didier Paris, Association des Ecrivains des Hauts de France,
Journée littéraire de la Chartreuse de Neuville, le 14 juin 2025
Lieu (et thème) de la lecture : la bibliothèque du monastère.

 « Le livre est créature fragile, il souffre de l’usure du temps, craint les rongeurs, les intempéries, les mains inhabiles » ….  « Le bibliothécaire les défend donc non seulement des hommes, mais aussi de la nature, et consacre sa vie à cette guerre contre les forces de l’oubli, ennemi de la vérité. »

En matière de littérature, lorsque l’on pense à une bibliothèque au sein d’un monastère, une image s’impose, celle de l’abbaye créée par Umberto Eco dans le Nom de la rose (1980). Dans la citation introductive, l’abbé s’adresse au héros du roman, Guillaume de Baskerville, Sean Connery dans le film de Jean-Jacques Annaud, sorti six ans après le livre. Guillaume, frère franciscain, ancien inquisiteur, mène l’enquête. Un polar médiéval. Des moines qui décèdent de façon suspecte, très suspecte. Suspense incroyable. Sur la piste d’un livre qui serait la cause de tout, Guillaume est assisté d’un jeune novice, Adso de Melk. Eco en fait le narrateur du roman, son double en quelque sorte.

Mais Umberto Eco est d’abord philosophe. C’est aussi à une quête sur la nature des livres qu’il nous invite : les phrases qui s’alignent sur leurs pages, les mots qui les composent, leur pouvoir subversif. Exemple ? « Le bien, pour un livre, c'est d'être lu. Un livre est fait de signes qui parlent d'autres signes, lesquels à leur tour parlent des choses. Sans un œil qui le lit, un livre est porteur de signes qui ne produisent pas de concepts, et donc il est muet »

Umberto Eco nous parle aussi de la bibliothèque. Celle de son abbaye imaginaire, et, à travers elle, toute bibliothèque. Un simple écrin pour accueillir des livres ? Plus que ça en vérité : « La bibliothèque se défend toute seule, insondable comme la vérité qu'elle héberge, trompeuse comme le mensonge qu'elle enserre. Labyrinthe spirituel, c'est aussi un labyrinthe terrestre. Vous pourriez entrer et vous ne pourriez plus en sortir. »

C’est Jorge, un moine fanatique, qui a empoisonné ceux qui ont accédé au livre interdit d’Aristote. Un onguent toxique déposé sur les pages. A la fin, il met le feu à la bibliothèque, sacrifiant des milliers d’ouvrages. Ainsi, la peur et l’ignorance conserveront leur emprise sur les hommes : l’autodafé, pratique récurrente des régimes tyranniques et liberticides à travers l’histoire.

Lieu mystérieux, donc, que la bibliothèque. Un motif repris par Carlos Ruiz Zafón dans son roman L’Ombre du vent (2001). Ici, on franchit les siècles, pour se retrouver dans la Barcelone d’après la guerre civile d’Espagne. Le jeune Daniel Sempere, à la fois personnage principal et narrateur du roman, découvre grâce à son père libraire « le Cimetière des livres oubliés ». Des œuvres protégées par quelques initiés. Affranchi à son tour, Daniel doit choisir le livre dont il prendra soin. Ce sera L’Ombre du vent, d’un auteur inconnu qui devient le sujet d’une enquête obsessionnelle pour Daniel. Il explore alors cette bibliothèque étrange, également labyrinthique, dans lequel Zafon et son narrateur emmènent le lecteur. Adso, le novice confié par son père à un mentor franciscain ; Daniel, le collégien à qui son père apporte la révélation : deux jeunes hommes confrontés à une quête initiatique par le truchement d’un livre.

Imaginez donc ici, visiteur d’un jour, tous les mystères qui ont pu remplir ces étagères, aujourd’hui vides, mais qui vont se couvrir à nouveau, au sein de cette Chartreuse de Neuville. La sérénité de la salle de lecture contrastant avec l’agitation de l’atelier où les moines travaillaient sur les presses typographiques − chaque monastère chartreux a sa vocation économique, et celui de Neuville était devenu l’imprimerie générale de l’ordre, rayonnant sur toute l’Europe. Juste le bruit des pages que l’on tourne, le craquement du parquet, séché par l’été, au passage d’un frère qui ne dit mot, et va s’assoir après s’être saisi de l’ouvrage convoité.

Il ne dit mot. Ni lui ni les autres. Les mots sont faits pour abreuver les pupilles attentives du lecteur silencieux. Boisson céleste qui procure le savoir, rivale de la liqueur d’émeraude, au parfum d’herbes de la montagne, que la maison mère distille au sein de l’ordre chartreux. Pour les moines, l’ivresse des mots, lorsque ceux-ci délivrent au lecteur assidu leur sens profond. « Le bien, pour un livre, c'est d'être lu » nous dit Eco… Alors que le bien, pour la liqueur des Chartreux, c'est d'être bue, dirait celui qui ne recherche que l’ivresse… sans le sens.

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